Presse quotidienne

Le début des années 2000 est marqué par d’importants changements dans la propriété de la presse quotidienne québécoise, le groupe Hollinger Inc., maintenant défunt, se départant de ses cinq quotidiens dans la province. En novembre 2000, il cède sa filiale Unimédia, propriétaire du Soleil, du Droit et du Quotidien, à Gesca (Power Corporation), qui était déjà détentrice de quatre quotidiens (Le Nouvelliste, La Tribune, La Voix de l’Est et La Presse). À la suite de cette acquisition, deux entreprises, Québecor, propriétaire du Journal de Montréal et du Journal de Québec, et Gesca cumulent quelque 70 % du lectorat des quotidiens au Québec. Au cours du même mois, Hollinger Inc. vend également les journaux du groupe Southam Newspapers, dont il est l’actionnaire de contrôle, à Canwest Global. Parmi ces journaux se retrouve un quotidien montréalais, la Montreal Gazette. Au début de l’année 2006, Hollinger inc. se retire complètement du marché canadien en cédant ses actifs, qui comprennent The Record de Sherbrooke, à Glacier Ventures International, une entreprise de Vancouver. Quelques mois plus tard, l’Alta Newspaper Group, mené par l’homme d’affaires David Radler, ancien directeur de l’exploitation de Hollinger International, acquiert à son tour The Record. Dans l’entente, ce groupe cède la moitié de ses parts à Glacier Media, filiale de Glacier Ventures International. Glacier Media deviendra éventuellement actionnaire majoritaire du Alta Newspaper Group¹.

The Montreal Gazette change à nouveau de propriétaire en 2010 lorsque Canwest Global vend ses journaux à un groupe d’actionnaires dirigé par Paul Godfrey, président du National Post. La nouvelle entité ainsi créée sera baptisée Postmedia Network.

En mars 2015, Gesca vend ses six publications régionales au Groupe Capitales Médias², ne conservant que La Presse. La propriété des quotidiens québécois francophones s’en trouve moins concentrée.

Le portrait de la propriété de la presse quotidienne se transforme à nouveau vers la fin des années 2010. Les pertes de revenus publicitaires, qui se redirigent principalement vers les géants du web, rendent les médias d’information moins attrayants pour les investisseurs privés et incitent plusieurs quotidiens à modifier leur structure de gouvernance pour pouvoir accéder à certains avantages fiscaux. Le gouvernement fédéral annonce en novembre 2018 un plan d’aide pour les médias, qui inclut la création d’un nouveau statut : celui d’organisation journalistique enregistrée (OJE). Ce statut permet aux éditeurs de presse admissibles d’obtenir une exemption d’impôt sur leurs revenus et de remettre des reçus pour les dons qu’ils reçoivent de 20 dollars ou plus. Pour y avoir droit, les organisations de presse doivent remplir plusieurs conditions, comme celles de se consacrer uniquement à l’information ou de ne pas générer de revenus pour un propriétaire, un actionnaire ou « une autre personne de ce type ». Huit des douze quotidiens québécois actuels³ adoptent une structure à but non lucratif permettant d’obtenir le statut d’OJE. Avant même la création des OJE, La Presse devient totalement indépendante de son ancien propriétaire, Gesca en cédant les actions à La Fiducie de soutien à La Presse, une fiducie d’utilité sociale. Le Devoir doit transformer la structure juridique de sa Fiducie Le Devoir, qui était en place depuis sa fondation. Bien que celle-ci fonctionnait déjà dans une logique à but non lucratif, elle devient une fiducie à vocation sociale dans laquelle les actionnaires renoncent à toute possibilité d’avoir droit à des dividendes⁴. Le quotidien bénéficiait déjà d’un important soutien philanthropique grâce à la fondation Les Amis du Devoir, organisme à but non lucratif créé en 1916. Ce dernier sera cependant dissous, les dons étant dorénavant perçus directement par le quotidien. Enfin, en janvier 2020, les six titres du Groupe Capitales Médias — qui s’était placé sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers — deviennent des coopératives de solidarité, fédérées par la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i), pour un total de sept entités. Les six coopératives et celle de la CN2i fusionnent sous ce nom pour devenir une seule coopérative à structure à but non lucratif en mars 2023. La Presse obtient le statut d’OJE en décembre 2020, les six journaux de CN2i en janvier 2023 et Le Devoir en octobre 2023.

Tout cela n’a cependant rien changé quant à la position de Québecor, qui demeure l’acteur dominant de la presse quotidienne québécoise. L’entreprise ne possède que deux titres, mais, selon l’enquête du Digital News Report de 2024, ceux-ci ont rejoint en ligne ou hors ligne 30 % des francophones canadiens dans la semaine précédant l’enquête. La Presse en a rejoint 25 %, Le Devoir 12 % et la Coopérative nationale de l’information indépendante 4 %. Quelque 3 % des répondants francophones canadiens ont consulté la Montreal Gazette, même si ce journal n’est qu’en anglais.

1. Nombre de lecteurs des quotidiens québécois selon la propriété au Canada

OJE = Organisation journalistique enregistrée
Source : *Les données du lectorat sont issues de Comscore, visiteurs uniques, moyenne mensuelle 2023 (lectorat de La Presse) et de Vividata, Hiver 2024 (lectorat des autres quotidiens). Les données de Vividata comprennent le nombre de personnes ayant feuilleté ou lu au moins une édition soit en format papier, en ligne ou par l’intermédiaire d’une application pour tablette ou téléphone intelligent pendant une semaine de publication. Un lecteur peut être considéré plusieurs fois s’il lit plusieurs quotidiens distincts. Les données de la portée sont issues du Digital News Report 2024, Question : « Parmi les marques suivantes, quelles sont celles que vous avez utilisées pour accéder aux nouvelles au cours de la semaine passée? Veuillez sélectionner toutes les réponses qui s’appliquent. ».

L’appréciation du lectorat ne traduit par ailleurs pas complètement l’influence que peuvent avoir un titre et son propriétaire. Par exemple, les salles imposantes de La Presse et du Journal de Montréal leur permettent de traiter un grand éventail de sujets et de le faire avec une certaine profondeur (notamment par des analyses et des commentaires). De ce fait, ils sont plus susceptibles d’exercer une influence marquée sur les débats publics que des acteurs strictement locaux.

Il est difficile d’évaluer l’impact sur les quotidiens des nouveaux acteurs en ligne, dont les sites d’information affiliés à des entreprises traditionnellement extérieures à l’écrit et leurs applications (radio-canada.ca, tvanouvelles.com, etc.). Le Huffpost Québec, lancé en février 2012, a employé jusqu’à une dizaine de journalistes et attirait, à son cinquième anniversaire en 2017, 1,3 million de visiteurs uniques par mois⁵. Il a toutefois mis fin à ses activités au Québec en mars 2021.

Parmi les marques toujours en activité, La Presse et les journaux de Québecor se classent parmi les quatre sources de nouvelles en ligne les plus consultées par les Canadiens francophones en 2024, selon l’enquête du Digital News Report. Au cours de la semaine précédant l’enquête, 26 % des répondants ont consulté des nouvelles de TVA Nouvelles, propriété de Québecor dont le site et les applications relaient aussi des contenus des journaux du groupe, 26 % ont consulté les marques ICI Radio-Canada/ICI RDI, 25 % se sont informés à partir de contenus de La Presse et 20 % à partir de contenus du Journal de Montréal ou du Journal de Québec. Lorsqu’on demande aux Canadiens francophones quelles marques ont été utilisées sur trois jours ou plus pour accéder aux nouvelles dans la semaine précédant l’enquête, l’ordre reste le même : TVA Nouvelles et ICI Radio-Canada/ICI RDI ont récolté chacun 19 %, suivis de près par La Presse à 18 % et du Journal de Montréal/Journal de Québec à 11 %. Les autres marques de nouvelles de l’enquête ont récolté 10 % et moins sur une base strictement hebdomadaire et 6 % sur trois jours ou plus dans la semaine⁶.

Mise à jour : février 2025

Notes

[1] Selon la notice annuelle de Glacier Media Inc. de 2024, la compagnie détient 59 % des parts d’Alta Newspaper Group. ↑

[2] L’ancien député et ministre fédéral Martin Cauchon était l’unique actionnaire de l’entreprise créée aux fins de cette acquisition. ↑

[3] Deux quotidiens gratuits distribués principalement dans les transports en commun à Montréal ont mis fin à leurs activités pendant cette période. Métro, dont la première édition est publiée en février 2001, est d’abord propriété de Gesca, TC Media (Transcontinental) et Métro International. Transcontinental en devient l’unique actionnaire en 2012, avant de s’en départir en 2018 avec 29 autres publications. L’acquéreur de ces publications, Michael Raffoul, crée le groupe Métro Média, qui cessera officiellement ses activités en septembre 2023. L’autre gratuit, 24 heures, propriété de Québecor, est lancé en mars 2001. Le journal devient un magazine hebdomadaire en mars 2021 avant de n’offrir que des contenus en ligne à partir du 23 mars 2023. ↑

[4] Information rapportée par Le Devoir, « «Le Devoir» à l’heure de la philanthropie », Le Devoir, 21 octobre 2023. ↑

[5] Information rapportée par Papineau, Philippe, « Le « Huffington Post Québec » fête ses cinq ans », Le Devoir, 10 février 2017. ↑

[6] Données provenant du Digital News Report 2024, Question : « Parmi les marques suivantes, quelles sont celles que vous avez utilisées pour accéder aux nouvelles en ligne au cours de la semaine passée (par le biais de **sites Internet, d’applis, de médias sociaux, et d’autres formes d’accès Internet**)? Veuillez sélectionner toutes les réponses qui s’appliquent. » et Question : « Vous avez indiqué avoir utilisé les marques suivantes pour accéder aux nouvelles en ligne au cours de la semaine passée… Parmi les marques suivantes, quelles sont celles, le cas échéant, que vous avez utilisées 3 jours ou plus ? Veuillez sélectionner toutes les réponses qui s’appliquent. ». ↑