La télévision québécoise tire principalement ses revenus de quatre sources :
- la vente de temps d’antenne aux annonceurs (publicité) ;
- les sommes versées par les gouvernements aux chaînes publiques en vertu des crédits parlementaires prévus dans les budgets adoptés par les législatures fédérale et provinciales ;
- ce que les téléspectateurs paient pour avoir accès aux services spécialisés auxquels ils s’abonnent (comme RDI, Vrak TV, TVA Sports, Séries + et Super Écran) et ce qu’ils déboursent à l’unité pour regarder l’une ou l’autre des émissions des services sur demande (tels Indigo, Illico sur demande). Ces montants sont perçus par les distributeurs (Vidéotron, Bell, Cogeco, etc.) qui les répartissent entre les propriétaires de ces services ;
- les sommes octroyées directement ou par l’intermédiaire de crédits d’impôt aux producteurs indépendants par les gouvernements et les distributeurs.
La vente de temps d’antenne
Les recettes que les services privés et publics de télévision — généraliste et spécialisée1 — tirent de la publicité au Québec se situent à 540 millions de dollars en 20212. Malgré leur chute d’une cinquantaine de millions de dollars ressentie en 2020 par rapport à 2019 (passant de 545 à 486 millions de dollars), elles semblent être revenues à leur niveau d’avant la pandémie. Il faut dire qu’à partir de mars 2020, plusieurs secteurs de l’économie ont souffert de fermetures et des autres mesures de confinement rendues nécessaires par la pandémie. Toutefois, même si le revenu publicitaire annuel de la télévision a légèrement augmenté depuis sa chute de 2020, où il était à son plus faible depuis l’année 2000, la tendance demeure à la baisse. De 2014 à 2021, les revenus publicitaires se sont amenuisés de 22 %, pendant que l’Indice des prix à la consommation (IPC) gagnait 11,7 % et le produit intérieur brut (PIB) 12,4 %3. Et si on regarde plus loin encore, depuis 2003, le PIB du Québec s’est accru de 58 % et l’IPC de 34,4 %, tandis que les annonceurs dépensent aujourd’hui dans ce média 49 millions de moins qu’alors (-8 %).
1. Revenus publicitaires de la télévision au Québec
La télévision était depuis de nombreuses années le véhicule auquel, dans leur ensemble, les publicitaires accordaient la plus large partie de leurs budgets. Mais les plateformes numériques non médiatiques4 les devancent depuis 2015, obtenant 70 % de ces budgets en 2021, alors que la télévision en recueille 18 %. La radio et les quotidiens suivent avec, respectivement, 6 % et 3 % de ces achats.
En 2020, les dépenses des annonceurs en publicité à la télévision québécoise se répartissent ainsi : environ la moitié (48 %) va aux réseaux privés généralistes (incluant les stations de langue anglaise), une tranche de 21 % bénéficie à Radio-Canada, pendant que la part de la télévision spécialisée de langue française atteint 31 % (à l’échelle de l’ensemble du Canada, la part de CBC/Radio-Canada est de 9 % alors que celle des canaux spécialisés s’élève à 45 %). Au Québec, le partage de l’assiette publicitaire varie peu depuis 2015. Pendant les années qui ont précédé, la partie dévolue au secteur généraliste privé s’est affaiblie au profit de celle des services spécialisés, dont le nombre a toutefois augmenté pendant la période. On en compte en effet 14 en 2002, 25 en 2010, 34 en 2015 et 33 depuis 2017 (disparition du Canal Argent).
2. Répartition des revenus publicitaires à la télévision québécoise
Voyons ce qu’il en est maintenant en termes de dollars. À 258 millions de dollars en 2021 et à 237 millions en 2020, les recettes publicitaires des stations privées généralistes du Québec n’ont jamais été aussi faibles au cours des 25 dernières années. Même s’il s’agit en 2021 d’une augmentation de 9 % par rapport à 2020, c’est une diminution de 37 % depuis le sommet atteint en 2005.
3. Revenus publicitaires de la télévision généraliste privée au Québec
En parallèle, les revenus que les spécialisés de langue française tirent de la vente de temps d’antenne se sont accrus de façon marquée presque chaque année jusqu’en 2014. Ils s’élevaient alors à 211 millions de dollars, mais ont baissé depuis pour atteindre 168 millions en 2021. Il n’empêche qu’ils ont plus que triplé depuis l’année 2000. Comme nous l’avons déjà indiqué, le nombre de services a toutefois beaucoup augmenté. On en comptait 9 en 1997 comparativement à 33 en 2021.
4. Revenus publicitaires de la télévision spécialisée de langue française
Les recettes publicitaires du réseau généraliste de langue française de Radio-Canada ont quant à elles diminué de 25 % depuis leur sommet de 150 millions enregistré en 2014. Elles se situent maintenant à 113 millions de dollars, soit le niveau qu’elles atteignaient vers l’année 2000.
5. Revenus publicitaires de la télévision généraliste de la langue française de Radio-Canada
La publicité représente 84 % des recettes de la télévision privée généraliste québécoise : il en va autrement pour le service public et les canaux spécialisés. Les crédits parlementaires constituent la principale source de financement de la télévision publique, alors que les services spécialisés comptent surtout sur ce que les usagers paient en frais d’abonnement et pour les productions consommées à la carte.
Les crédits parlementaires
Radio‑Canada a reçu en 2021-2022 un peu plus de 1,1 milliard de dollars du Parlement canadien pour l’ensemble de ses activités5, une baisse de 12 % par rapport à l’année précédente. Ce type de financement était toutefois particulièrement élevé en 2019-2020 en raison d’un versement rétroactif de 119 millions de dollars pour le financement au titre de l’inflation salariale pour l’année en cours et celle d’avant. Ainsi, en comparant le montant de 2021-2022 à celui de 2015-2016, on remarque tout de même une augmentation de 23 %. Une somme de 780 millions est consacrée au secteur de la télédiffusion généraliste (services de langue anglaise et de langue française), dont 287 millions au Québec6. Ces montants sont marqués d’une légère augmentation par rapport à ceux de l’année antérieure (augmentant de 63 millions et de 16 millions, respectivement). Le financement public représente 65 % des revenus d’exploitation des stations généralistes de Radio-Canada au Québec (70 % pour le Canada). Pour sa part, le gouvernement du Québec a versé 69 millions à Télé-Québec pour ses dépenses de fonctionnement en 2021-2022. Cette somme correspond à 73 % des entrées de fonds du diffuseur pour cette même année.
Abonnements
Les services spécialisés de langue française tirent 72 % de leurs recettes des abonnements. Après avoir augmenté année après année (ils ont plus que doublé de 2006 à 2016), ces revenus ont baissé de 15 % depuis. Le déclin a également commencé en 2017 à l’échelle canadienne. Bien qu’il ait été un peu moins rapide, il est désormais presque aussi prononcé, atteignant 11 %. Le quart du financement de l’industrie francophone est attribuable à la publicité. Son apport a s’est chiffré à 168 millions de dollars en 2021, un glissement depuis le sommet de 211 millions en 2014. Il s’agit d’une diminution de 20 % en l’espace de six ans7.
Télévision généraliste vs spécialisée
Globalement, la télévision spécialisée bénéficie de revenus de plus en plus importants. Ils ont atteint 671 millions de dollars en 2021 pour les services de langue française, comparativement à 308 millions pour les diffuseurs privés généralistes du Québec. Pour les premiers, il s’agit d’une hausse de 14 % par rapport à 2011, alors que les généralistes privés ont plutôt connu une baisse de 28 % au cours de cette période. Jusqu’en 2007, les recettes de la télévision généraliste dépassaient celles des canaux spécialisés de langue française. C’est l’inverse depuis, et bien que l’écart ait beaucoup grandi jusqu’au sommet de 2016 de ces derniers, il semble rester stable dans les six dernières années.
6. Revenu de la télévision privée au Québec
En ce qui concerne la profitabilité8, le secteur généraliste privé québécois a encaissé des pertes pour chacune des huit dernières années (BAII négatif de 43 millions ou -14 % en 2021), alors qu’il avait toujours enregistré des bénéfices de 1997 à 2013. De manière cumulative, les pertes atteignent 201 millions depuis 2014, en dépit d’un effort de réduction des dépenses d’environ 41 millions, dont 12 ont trait aux émissions canadiennes.
De leur côté, les spécialisés de langue française accumulent les profits depuis 1997. Leur marge bénéficiaire se situe à 13 % en 2021, soit 8 points de pourcentage de moins qu’en 2014. Exprimés en dollars, ces bénéfices ont chuté de 40 %, soit de 146 millions en 2014 à 87 en 2021. Les recettes baissent plus rapidement que les dépenses. Notons au passage la bataille que se livrent BCE et Québecor dans le domaine du sport : le profit de RDS (propriété de BCE) est passé de 45 millions en 2014 à 16 millions en 2021, pendant que TVA Sports (propriété de Québecor) enregistrait une perte de 10 millions de dollars en 2021. Ce service n’a jamais été rentable depuis son lancement en 2012.
La télévision spécialisée parvient année après année à dégager des marges supérieures à celles des stations privées généralistes opérant au Québec.
7. Marges bénéficiaires de la télévision privée au Québec
Des profits plus importants permettent à la télévision spécialisée d’injecter davantage d’argent dans son offre de programmes, ce qui peut accroître ses parts de l’écoute et ses revenus publicitaires. Les généralistes, au contraire, doivent restreindre leurs dépenses. En fait, malgré l’inflation, les sommes que les stations généralistes du Québec consacraient aux émissions canadiennes sont inférieures en 2021 à celles de 2005. De 2016 à 2021, ces stations ont retranché 3 % à leurs investissements en programmation d’ici, pendant que les services spécialisés (particulièrement les chaînes de sport en 2021) les réduisaient de 14 %. Ces derniers services, dont les investissements ont cessé de croître plus récemment, y ont tout de même affecté 382 millions en 2021, dont 182 pour des émissions sportives. Du côté des généralistes, il s’est agi d’un montant de 184 millions. Mentionnons, pour compléter le tour de piste, que la dépense de même nature pour Radio-Canada s’élève à 220 millions au Québec.
Soutien financier aux producteurs indépendants
Précisons que d’autres sommes soutiennent la production d’émissions canadiennes de télévision par des entreprises indépendantes des diffuseurs (dans la plupart des cas, ces sociétés ne peuvent être apparentées à TVA, Bell Média ou Radio-Canada pour en bénéficier). Cela permet aux diffuseurs publics et privés, généralistes et spécialisés, d’acquérir ces émissions à un prix inférieur à leurs coûts. Les deux paliers de gouvernement accordent, en effet, à la fois des subventions et des crédits d’impôt à ces producteurs. Les propriétaires de services de distribution épaulent également de tels projets. Ils se conforment en cela aux règles du CRTC qui les obligent à consacrer 5 % de leurs revenus bruts annuels au soutien de la production télévisuelle canadienne. Le Fonds des médias du Canada (FMC) répartit l’aide directe du gouvernement fédéral et une grande part de celle des services de distribution attribuable à cette exigence du CRTC. Le FMC dispose de 366 millions de dollars en 2023-2024, dont 197 millions sont versés par le gouvernement fédéral. Le reste provient en majeure partie des distributeurs par câble, satellite ou autres moyens (159 millions). La contribution de ces derniers évolue à la baisse, tout comme leurs revenus. Ottawa s’est engagé à compenser ces pertes de manière à maintenir la somme totale disponible.
Le FMC circonscrit son aide aux quatre genres d’émissions jugées plus susceptibles d’être porteurs d’une certaine valeur culturelle pour les Canadiens et dont la rentabilité est plus difficile à assurer. Il s’agit des émissions de fiction, des documentaires, des émissions pour les enfants et pour les jeunes, ainsi que des émissions de variétés et des arts de la scène. Il s’intéresse aussi de plus en plus à l’Internet. En effet, il réserve des sommes pour des contenus et applications exclusivement numériques et tient compte des dérivés Internet associés aux productions télévisuelles traditionnelles dans l’attribution de financement. Le FMC a créé divers programmes, dont le plus important est celui dit convergent, auquel une somme de 299 millions est rattachée en 2023-2024. Même si l’aide découlant de ce programme est versée aux producteurs, ce sont les diffuseurs qui choisissent, en en acquérant les droits, quelles émissions seront soutenues. Chacun d’entre eux, incluant Radio-Canada, dispose d’une enveloppe dont la taille varie notamment en fonction des auditoires rejoints par les émissions subventionnées au cours des trois années précédentes. L’apport financier du FMC aux créations francophones canadiennes atteint 114 millions en 2023-2024.
Il existe un crédit d’impôt fédéral9 permettant aux producteurs d’être remboursés à hauteur de 25 % de leurs dépenses de main-d’œuvre admissibles pour les émissions qui appartiennent aux mêmes genres que ceux prévus au FMC, ainsi que les magazines télévisés et les émissions éducatives. Contrairement au FMC, cette formule n’est pas limitée par une enveloppe budgétaire maximale. La somme totale attribuée dépend du nombre de projets soumis et de leurs coûts. La mesure fiscale représenterait un investissement d’environ 290 millions de dollars dans les émissions canadiennes en 202210.
De son côté, le programme québécois équivalent11 offre aux entreprises québécoises de recouvrer généralement 32 % des dépenses de main-d’œuvre admissibles pour les mêmes types d’émissions. Le crédit est bonifié s’il s’agit d’une production régionale, si elle intègre des effets spéciaux ou de l’animation informatique, ou si elle ne bénéficie d’aucune aide financière provenant d’un organisme public. Pour l’année 2020-2021, le coût de cette norme fiscale est projeté être autour de 166 millions de dollars12.
L’Observatoire de la culture et des communications du Québec estime que l’ensemble du soutien public équivaut à 40,4 % des dépenses liées à la production télévisuelle13 indépendante au Québec en 2020-202114. La contribution se divise ainsi : le crédit d’impôt provincial représente 15,0 % des frais, celui du Canada 9,6 %, la partie du Fonds des médias du Canada provenant du gouvernement fédéral 11,7 %, la SODEC 0,8 %, Téléfilm Canada 0,4 % et, enfin, l’ONF, les commandites et autres sources 3,1 %. Toutes formes confondues, cette aide publique s’élève à 330 millions de dollars au Québec.
De son côté, le CRTC a créé le Fonds pour les nouvelles locales indépendantes (FNLI) en télévision dont les activités ont débuté en septembre 2017. Les entreprises de distribution de radiodiffusion doivent y verser 0,3 % de leurs recettes brutes (compris dans le 5 % mentionné précédemment). Au Québec, en 2021, les stations privées de langue française n’appartenant pas au Groupe TVA ont ainsi reçu 5,2 millions15.
Enfin, pour contrer la baisse de revenus engendrée par la pandémie, plusieurs télédiffuseurs canadiens avaient aussi obtenu un soutien financier totalisant 102 millions de dollars pour l’année 2020 en vertu du programme de Subvention salariale d’urgence du Canada. Les entreprises ont comptabilisé ces sommes comme une diminution de leurs dépenses.
Mise à jour : mai 2023
Notes
[1] Nous ne tiendrons compte que des services de langue française, parce que le Québec est leur principal marché. Les services sur demande ne peuvent présenter de messages publicitaires.↑
[2] Calculs du Centre d’études sur les médias à partir de diverses éditions de relevés statistiques et financiers du CRTC concernant la télévision traditionnelle de même que les services facultatifs et sur demande. Les années courent du 1er septembre au 31 août suivant. Ces données ne tiennent pas compte des revenus en ligne. Ceux-ci sont estimés à 60 millions pour l’année 2021. ↑
[3] Institut de la statistique du Québec (2022), Produit intérieur brut réel, Comptes économiques des revenus et dépenses, Édition 2022 et Indice des prix à la consommation. ↑
[4] Il s’agit principalement de Google, Facebook, Amazon et YouTube. ↑
[5] Nous ne tenons pas compte des crédits parlementaires pour le fonds de roulement ou pour l’amortissement des immobilisations qui totalisent 100 millions. ↑
[6] Les services spécialisés ICI RDI, CBC News Network, ICI ARTV, ICI Explora et documentary ne reçoivent aucune aide de l’État. Ils doivent s’autofinancer. ↑
[7] Certains services de vidéo en ligne tels Illico et Netflix se financent aussi par des abonnements. Nous en traitons dans la section portant sur les médias numériques. ↑
[8] Bénéfice avant intérêts et impôts (BAII). ↑
[9] Le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne. Un peu plus de 1 500 sociétés ont reçu cette prestation en 2019. ↑
[10] Ministère des Finances du Canada, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales 2023. ↑
[11] Le crédit d’impôt pour la production cinématographique et télévisuelle québécoise, dont les demandes sont faites à la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). ↑
[12] Ministère des finances du Québec, Dépenses fiscales 2022. ↑
[13] Cela englobe les productions télévisuelles de fiction, les magazines et les variétés, ainsi que l’ensemble de l’animation, des courts et moyens métrages de fiction et des documentaires à l’exception des longs métrages documentaires qui ont reçu une accréditation de la SODEC aux fins du programme de crédit d’impôt du Québec. Il s’agit de la production indépendante. ↑
[14] Observatoire de la culture et des communications du Québec (rapporté par l’Institut de la statistique du Québec), Profil de l’industrie audiovisuelle au Québec, Édition 2022. ↑
[15] Le CRTC oblige toutes les stations de télévision généraliste voulant vendre du temps d’antenne dans leur marché local à y couvrir l’actualité. Toutes celles du Québec sont dans cette situation, même si V Télé diffusait ces bulletins en dehors des heures de grande écoute. Noovo, qui a remplacé V, a repris la diffusion de tels bulletins aux heures de grande écoute à la fin du mois de mars 2021. ↑