Puisqu’il n’existe aucune donnée sur l’importance des dépenses qui sont liées aux activités des médias sur Internet, ce texte ne portera que sur les revenus. De même, en raison d’une absence d’informations relatives aux recettes en ligne des stations de radio traditionnelles1 et des magazines, nous limiterons notre analyse aux revenus numériques2 de la télévision, des quotidiens et des hebdomadaires, de même qu’à ceux qui vont à toutes les entreprises non médiatiques. Les plus dominantes d’entre elles sont Google, Facebook, YouTube, Amazon, Netflix et iTunes. Nous traiterons de deux sources distinctes de revenus : ceux dépendant des annonceurs (la publicité) et ceux versés par les utilisateurs (abonnements ou ventes à l’unité3).
Revenus tirés des annonceurs (la publicité)
Les données de cette section dont la provenance n’est pas explicitement indiquée viennent de compilations et d’estimés du CEM à partir des sources suivantes: Publicité numérique : IAB ; télévision et radio : CRTC ; quotidiens et hebdomadaires : Statistique Canada et Médias d’Info Canada ; magazines : Ad Dynamics, Numerator et Statistique Canada.
Précisons d’entrée de jeu que si nous connaissons la somme dépensée pour de la publicité en ligne dans le marché de langue française (que nous assimilerons au marché québécois)4, nous ne sommes pas au fait de sa répartition entre les sphères médiatiques et non médiatiques. Nous posons comme hypothèse que le partage est similaire, pour chacun des secteurs, à celui qui existe à l’échelle canadienne5. Ainsi, comme le marché publicitaire de la télévision québécoise correspond à 19,4 % du tout canadien en 2020, nous estimons que ses revenus numériques équivalent à 19,4 % des revenus de même nature encaissés partout au pays6. La somme de ce qui est crédité à la télévision, aux quotidiens et aux hebdomadaires constitue la part de la branche médiatique. Le solde représente ce qui est déboursé hors médias.
En 2020, les annonceurs québécois ont consacré 2 511 millions de dollars en espaces publicitaires à la télévision, à la radio, dans les quotidiens, les magazines, les hebdomadaires, les moteurs de recherche, les réseaux socionumériques et les autres plateformes numériques. Il s’agit d’une baisse annuelle de 26 millions qui dénote un retour à la situation de 2018. Cela n’a rien d’étonnant quand on songe que la pandémie a provoqué une contraction de 5,5 % de l’économie québécoise en 2020. Les revenus de 2,5 milliards représentent seulement 147 millions ou 6,2 % de plus qu’en 2012. Soulignons que pendant la période allant de 2012 à 2020 l’indice des prix à la consommation (IPC) s’est accru de 9,9 % et le produit intérieur brut (PIB) de 8,5 % au Québec7. Pris dans leur ensemble, ces véhicules de publicité ont donc perdu du terrain au cours des huit dernières années.
1. Évolution de la publicité au Québec, 2003 et 2009 à 2020
2. Répartition procentuelle de la publicité selon le type au Québec de 2012 à 2020
Par ailleurs, en ventilant ces données, on observe que les annonceurs ont massivement déplacé des centaines de millions de dollars vers les Google, Facebook, Amazon, YouTube, Twitter, Pinterest et autres supports non médiatiques. Depuis le sommet atteint en 2012, les médias ont vu leurs revenus publicitaires se réduire de 45 %. Leur part continue de s’effriter. C’est maintenant 59 % des budgets globaux qui vont gonfler les goussets des plateformes numériques hors médias. C’était moins de 1 % en 2003, et 20 % en 2012.
Attardons-nous maintenant à la répartition de la publicité numérique entre les médias, d’une part, et les entreprises non médiatiques, d’autre part. Ces dernières accaparent la part du lion, soit 92 % du marché en ligne. Il s’agit d’un gain de 8 points de pourcentage par rapport à 2012. En termes de dollars, les budgets consacrés aux plateformes non médiatiques ont crû de 212 % pendant la même période (de 472 à 1 473 millions de $), alors que ceux alloués aux voies traditionnelles n’ont augmenté que de 50 % (de 87 à 130 millions). L’ascendant de ces supports pourrait encore s’accentuer puisqu’ils occupent 95 % du marché en ligne si l’on considère le Canada dans sa globalité.
3. Répartition de la publicité numérique au Québec de 2012 à 2020
4. Évolution de la publicité numérique au Québec de 2012 à 2020
Comment cette somme de 130 millions se répartit-elle ? Quelque 65 % aboutissent dans les goussets des quotidiens, 30 % dans ceux de la télévision et autour de 5 % profitent aux hebdomadaires. La proportion allouée aux quotidiens s’inscrit en hausse, au détriment de la télévision. Les montants que cela représente sont passés de 65 millions en 2017 à 85 en 2020 pour les quotidiens, de 31 millions à 39 pour la télévision et de 7 à 6 millions pour les hebdomadaires.
5. Répartition de la publicité numérique des médias au Québec de 2012 à 2020
6. Évolution de la publicité numérique des médias au Québec de 2012 à 2020
Les six graphiques qui suivent illustrent la place qu’occupe le numérique dans l’ensemble des recettes publicitaires de chacun de ces trois médias. Commençons par les quotidiens. La part en ligne est passée de 11 % en 2012 à 28 % en 2019, puis à 52 % en 2020, mais cela est essentiellement attribuable à une chute de 83 % (400 millions) du côté du papier, somme dont une infime portion de 27 millions a migré dans la colonne de leurs revenus numériques.
On remarque le même phénomène, quoique de manière moins prononcée, du côté de la télévision et des hebdomadaires : en proportion, la publicité en ligne augmente légèrement, mais c’est en raison d’une baisse des sommes investies dans les plateformes traditionnelles de ces médias (-211 millions en ce qui concerne la télévision, et -111 millions du côté des hebdomadaires).
7. Part des revenus publicitaires des quotidiens provenant du numérique au Québec de 2012 à 2020
8. Évolution des revenus publicitaires des quotidiens selon le type au Québec de 2012 à 2020
9. Part des revenus publicitaires de la télévision provenant du numérique au Québec de 2012 à 2020
10. Évolution des revenus publicitaires de la télévision selon le type au Québec de 2012 à 2020
11. Part des revenus publicitaires des hebdomadaires provenant du numérique au Québec de 2012 à 2020
12. Évolution des revenus publicitaires des hebdomadaires selon le type au Québec de 2012 à 2020
En résumé, les dollars que les annonceurs consacrent à la publicité stagnent au Québec. Une part grandissante de cet argent est attribuée aux supports numériques, et, pour une large partie, quitte les médias pour les Google, Facebook, YouTube et leurs semblables. La saignée est particulièrement importante pour la presse écrite. Pendant l’intervalle 2012-2020, les magazines ont perdu 84 % de leurs revenus publicitaires, les quotidiens 70 %, les hebdomadaires 54 %, la télévision 27 % et la radio 22 %.
Revenus tirés des utilisateurs (abonnements, ventes à l’unité)
La télévision est la championne des contributions exigées des utilisateurs, alors que celles-ci constituent une entrée de fonds non négligeable pour les quotidiens. Pour leur part, la presque totalité des hebdomadaires ont choisi de renoncer à ces dollars8. Ils préfèrent pénétrer dans le plus grand nombre de foyers possible sur leur territoire, dans le but de séduire les annonceurs. Cette gratuité prévaut aussi tout naturellement en ligne.
Pour les quotidiens, les abonnements ainsi que les ventes au numéro ou à l’article représentent 32 % de l’ensemble des revenus provenant des annonceurs et des lecteurs9. Ils ont ainsi fait entrer dans leurs coffres 77 millions de dollars en 2020 au Québec. Cette somme est toutefois en baisse de 21 % par rapport à l’année précédente et de 52 % comparativement à 2012. Environ 10 % de ces recettes sont attribuables au numérique10. Les journaux de Québecor et La Presse misent sur la gratuité en ligne.
Du côté de la télévision traditionnelle, si les réseaux généralistes tels Radio-Canada, TVA et CTV sont d’un accès libre, il est nécessaire de souscrire un abonnement (ces frais sont inclus dans les forfaits des entreprises de distribution) pour écouter les canaux spécialisés, qui se financent également par la publicité, à l’exemple des RDS, Sportsnet, ICI RDI, LCN, YTV, et bien d’autres. Il faut aussi être abonné pour regarder Super Écran ou CINÉPOP, mais les annonces y sont absentes. On n’en trouve pas non plus chez les services à la carte comme Indigo, ni chez ceux qui, à l’instar d’illico, facturent à la pièce chaque production consommée. Pour sa part, le monde de la vidéo sur demande (VSD) en ligne fait place à trois modèles d’affaires distincts. Dans le premier cas, les chaines généralistes traditionnelles offrent gratuitement leurs émissions de la semaine pour une écoute en rattrapage, mais celles-ci sont ponctuées de messages publicitaires. Les deux autres formules excluent la publicité. Elles recourent plutôt à l’abonnement à la manière de Club illico, ICI TOU.TV EXTRA, Crave et Netflix, ou au paiement à l’unité comme iTunes, Microsoft Movies & TV et PlayStation Network11. Ces services qui font payer leurs usagers tout en leur évitant les annonces drainent tout de même beaucoup de dollars dans leurs coffres.
D’après les données d’Omdia, citées par le CRTC, les consommateurs canadiens des VSD par Internet leur auraient versé en 2020 quelque 2,3 milliards12. Cette somme n’est toujours pas à la hauteur de celle récoltée par les services traditionnels financés par les utilisateurs (2,8 milliards). Toutefois, l’écart s’amenuise : les revenus en provenance des utilisateurs des VSD en ligne ont plus que doublé (croissance de 135 %) depuis 2016 pendant que ceux du deuxième groupe ont diminué de 7 %. Ce qui était autrefois une différence de 2 milliards de dollars n’est plus que de 470 millions quatre ans plus tard.
13. Évolution des revenus provenant des utilisateurs à la télévision au Canada de 2012 à 2020
Les services par abonnement recueillent environ la moitié (51 %) des revenus de tous13 les VSD par Internet en 2020. À lui seul, Netflix en amasse 31 % (1,2 milliard $). La seconde place revient à YouTube qui en accapare 23 % (908 millions). Viennent ensuite iTunes avec 5 % (175 millions) et Amazon Prime Video avec 1 % (39 millions). En 2021, 71 % des adultes québécois sont abonnés à un service payant de vidéo en ligne. Il s’agit d’un gain de 3 points de pourcentage par rapport à 2020 et de 35 depuis 2016. La proportion est de l’ordre de 85 % chez les 18-34 ans. Mentionnons en terminant que Netflix est bien plus populaire ailleurs au Canada. Ainsi, selon les données de l’Observateur des technologies médias rapportées par le CRTC, 67 % de tous les Canadiens y sont abonnés comparativement à 55 % pour le Québec. Le taux est supérieur à celui du Québec dans toutes les régions du pays. Il atteint 63 % dans les provinces atlantiques14.
Si l’ensemble des services traditionnels de télévision n’ont pas encore tellement senti de baisse dans ce qu’ils collectent de leurs clients, il en va différemment pour le sous-groupe de ceux qui, ayant renoncé à la publicité, s’en remettent presque exclusivement aux utilisateurs. De 2011 (moment de leur apogée) à 2020, les sommes que ceux-ci leur ont versées ont diminué de 40 % (26 % depuis 2017). Après avoir essuyé des pertes en 2014, 2015 et 2016, ces services (on en compte 22) ont retrouvé le chemin de la rentabilité en 2017 grâce à une réduction de leurs dépenses. Leur profit s’est chiffré à 30 millions en 2020, pour une marge (BAII) de 12,9 %. La somme qu’ils investissent pour la production ou l’acquisition d’émissions est passée de 38 millions en 2015 à 16 millions en 2020.
14. Évolution des revenus des services traditionnels financés presqu’exclusivement par les utilisateurs au Canada* de 2008 à 2020
Mise à jour : mai 2022
Notes
[1] Soulignons que les services audio par Internet proposés par des entreprises comme iTunes et Spotify auraient touché des revenus de 521 millions de dollars au Canada en 2020. Ils ont augmenté de 8 % en une année et plus que doublé (133 %) depuis 2015. Données provenant d’Omdia, citées par le CRTC dans ses Rapports sur le marché des communications — Données ouvertes. ↑
[2] Publicité jointe à des contenus qu’on peut consulter par l’intermédiaire d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone cellulaire. ↑
[3] De tels revenus sont à peu près inexistants chez les hebdomadaires qui ont opté, dans une très large mesure, pour la gratuité, tant pour leurs éditions imprimées que numériques. Statistique Canada les évalue à 6 millions au Québec en 2020. ↑
[4] IAB Canada l’établit à 1 milliard 154 millions en 2019. ↑
[5] Tel qu’établi par Thinktv (auparavant connu sous le vocable Television Bureau) dans Net Advertising Volume 2019. ↑
[6] Pour l’année 2019, la portion correspondante s’élève à 26,5 % pour les quotidiens et à 13,7 % pour les hebdomadaires. La radio et les magazines s’ajoutent à la télévision, aux quotidiens et aux hebdomadaires pour les calculs de la publicité non numérique. ↑
[7] Institut de la statistique du Québec (2022), Comptes économiques des revenus et dépenses, Édition 2021 et Indice des prix à la consommation. ↑
[8] Selon Statistique Canada, ils n’ont atteint que 1,9 million de dollars au Québec en 2020.↑
[9] Les éditeurs de quotidiens tirent aussi quelques revenus d’activités d’impression, de vente de listes, de services rendus à des tiers, etc. ↑
[10] La proportion est légèrement supérieure à 12 % pour l’ensemble du Canada. ↑
[11] Il existe une quatrième catégorie de services de vidéos sur demande, comme les produits proposés par YouTube qui sont financés par la publicité. Les revenus publicitaires de ces services qui proviennent d’entreprises canadiennes sont inclus dans les revenus publicitaires numériques hors médias. ↑
[12] Données du cabinet Ovum jusqu’en 2013, puis d’Omdia, citées par le CRTC dans ses Rapports sur le marché des communications — Données ouvertes et diverses éditions du Rapport de surveillance des communications. ↑
[13] Incluant ici les VSD financés par la publicité comme YouTube, entre autres. ↑
[14] CRTC, Rapport sur le marché des communications 2019-2020. Ces données concernent l’année 2020. ↑