Les données de cette page dont la provenance n’est pas explicitement indiquée viennent de compilations et d’estimés du CEM à partir des sources suivantes : Publicité numérique : IAB ; télévision et radio : CRTC et thinktv ; quotidiens et hebdomadaires : Statistique Canada et Médias d’Info Canada ; magazines : Infopresse1 et Statistique Canada.
La publicité demeure une source primordiale de financement pour les médias privés du Québec. Les stations de radio y puisent environ 99 % de leurs revenus, la presse hebdomadaire (hebdos)2 98 %, la télévision généraliste 84 %, les quotidiens 67 % et les magazines 30 %. Même les services spécialisés de télévision de langue française, d’une part, et le secteur de la télévision publique et non commerciale3, d’autre part, leur sont redevables de quelque 23 % et 22 % de leurs recettes, respectivement. À l’échelle mondiale, les annonces représentent 68 % des revenus de Google (incluant la filiale YouTube)4, 97 % pour Meta/Facebook (incluant les filiales Instagram et Messenger), et, avant la prise de contrôle d’Elon Musk en 2022, 89 % dans le cas de X5, (anciennement Twitter).
Au Québec, en 2022, les publicitaires ont dépensé ensemble 4 milliards 704 millions de dollars à la télévision, à la radio, dans les quotidiens, les magazines, les hebdomadaires, l’affichage, les moteurs de recherche, les réseaux socio numériques et de nombreuses plateformes numériques. Il s’agit d’une augmentation d’environ 552 millions par rapport à 2021. Cette augmentation est principalement attribuable à la publicité qui foisonne dans les plateformes en ligne non affiliées aux médias traditionnels. Bien que la pandémie ait entraîné en 2020 la fermeture de pans entiers de l’économie, le télétravail et les règles de confinement ont forcé les Québécois à avoir recours aux médiums en ligne pour leurs activités. Ceci pourrait donc expliquer le boom en publicité Web hors médias traditionnels qui a frappé le Québec depuis. L’univers en ligne étant beaucoup moins dépendant de la géographie des utilisateurs, une bonne part des retombées économiques de ces investissements publicitaires est simplement tombée ailleurs qu’au Québec. En 2020, le produit intérieur brut réel (PIB) du Québec a vécu une chute de 5 % en 2020 par rapport à 2019. Avec le relâchement de beaucoup des mesures sanitaires en lien avec la pandémie, il a toutefois repris dès 2021 toutes ses forces — et plus — marquant au final une augmentation de quelques millions de dollars par rapport au PIB prépandémique de 20196.
Heureusement pour l’industrie médiatique, le gouvernement du Québec avait dopé ses dépenses publicitaires afin de sensibiliser la population aux mesures sanitaires, tant en 2020 qu’en 2021. Ainsi, pour les années financières 2020-2021 et 2021-2022, le ministère de la Santé et des Services sociaux a déboursé respectivement 153,5 millions et 118,2 millions en publicité7. Le montant pour l’année 2018-2019 (avant la pandémie) correspondait à une fraction de cette somme, soit 9,3 millions. En 2022-2023, ces investissements publicitaires diminuent drastiquement et atteignent 23,2 millions, marquant la fin de ce dopage financier. Le gouvernement fédéral a lui aussi majoré ses budgets de publicité en période de COVID-19 : ils ont atteint 129 millions en 2020-2021 et 140,8 millions en 2021-2022, soit plus du double de leur niveau de 2018-2019, 58,6 millions8.
Les revenus de 4,7 milliards de l’industrie médiatique québécoise représentent une hausse de 2,2 milliards, ou 89 %, par rapport à 2012. Soulignons que pendant la période allant de 2012 à 2022, l’indice des prix à la consommation (IPC) s’est accru de 21,6 % et le produit intérieur brut (PIB) de 19,6 % au Québec9. Pris dans leur ensemble, ces véhicules de publicité ont donc gagné du terrain au cours des dix dernières années.
Toutefois, en ventilant ces données, on observe que les annonceurs ont massivement déplacé des centaines de millions de dollars vers les Google, Facebook, YouTube, Twitter (devenu X depuis), TikTok et autres supports en ligne non affiliés aux médias ou supports traditionnels. Depuis le dernier sommet atteint en 2012, médias et supports traditionnels ont vu leurs revenus publicitaires (en ligne et hors-ligne) se réduire de 37 %, alors que ceux des autres plateformes numériques ont plus que quintuplé (augmentant de 627 %) dans la même période. C’est maintenant 73 % des budgets globaux qui vont gonfler les goussets des supports numériques externes aux médias et supports traditionnels. C’était moins de 1 % en 2003, et 19 % en 2012.
1. Évolution de la publicité au Québec, 2003 et 2009 à 2022
Même si les marques associées aux médias traditionnels affinent leurs produits dans l’univers virtuel (sites Internet, applications mobiles), présence qui entraîne des dépenses supplémentaires pour eux, ils ne récoltent que des miettes des dollars consacrés aux annonces numériques. Pire encore, leur part continue de s’amenuiser graduellement. Les publicitaires privilégient plutôt les moteurs de recherche, les réseaux socionumériques et les autres plateformes externes aux supports traditionnels.
2. Répartition de la publicité numérique au Québec, 2012 à 2022
Tous les secteurs médiatiques ont réussi à maintenir, à quelques millions près, les revenus qu’ils tirent de la publicité pendant la période s’étendant de 2003 à 2012. Mais depuis, seul l’affichage traditionnel n’est pas plongé de façon régulière sous les revenus de 2012.
3. Évolution des investissements publicitaires par secteur médiatique au Québec
Même si les pertes sont limitées pendant l’intervalle 2003-2012, il n’empêche que les trois secteurs de l’écrit commencent déjà à céder du terrain : les magazines connaissent une légère baisse, alors que les quotidiens et les hebdos progressent bien moins que la radio et la télévision. Au contraire, la publicité sur les plateformes en ligne avance à vitesse grand V.
4. Variation des revenus publicitaires par secteur au Québec de 2003 à 2012
Pendant les dix années qui suivent (de 2012 à 2022), la publicité en ligne non affiliée aux médias traditionnels poursuit sa fulgurante progression alors que tous les autres secteurs, sauf l’affichage, s’affaiblissent. Les revenus publicitaires des quotidiens chutent de près de 67 % par rapport à ceux de 2012, ce qui représente une somme de 351 millions. La baisse atteint 113 millions pour la télévision (-16 %), 124 millions pour les hebdos (-67 %) et 116 millions du côté des magazines (-85 %). L’affichage connaît une légère hausse de 14 %. De fait, au Québec et au Canada, entre 2012 et 2022, les montants consacrés aux dépenses publicitaires d’affichage traditionnel ont connu une certaine croissance, bien que ces supports ont été malmenés en 2020 et 2021. En effet, la pandémie de la Covid-19 a entrainé une réduction de la mobilité à l’échelle mondiale, rendant cette publicité moins attrayante pour les annonceurs. Toutefois, depuis, les montants y étant attribués sont en remontée.
5. Variation des revenus publicitaires par secteur au Québec de 2012 à 2022
6. Variation procentuelle des revenus publicitaires par secteur au Québec de 2012 à 2022
La publicité s’est profondément transformée en 15 ans. Support favori des annonceurs jusqu’en 2014, la télévision a été supplantée par les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les autres plateformes numériques. Cet ensemble recueille désormais 73 % du marché. Il domine celui qu’on appelait le « petit écran » par 60 points de pourcentage.
Les quotidiens qui occupaient la seconde place encore en 2012 ont glissé au quatrième rang en 2019 et y sont toujours en date de 2022. Leur déconfiture a permis à la radio de revenir en troisième position. L’affichage traditionnel est en cinquième position avec 3 % des parts. Les hebdos régionaux demeurent au sixième échelon, tandis que les magazines occupent le septième, avec maintenant moins d’un pourcent des parts.
La croissance de la publicité en ligne est aussi de plus en plus rapide, d’autant plus accélérée par la pandémie. Dans les quatre dernières années pour lesquelles des données complètes sont accessibles, soit entre 2019 et 2022, les plateformes en ligne hors médias ont gagné 23 points de pourcentage de plus en parts du marché publicitaire québécois.
7. Répartition du marché publicitaire au Québec en 2003, 2012, 2019 et 2022
Pendant l’ensemble de la période de 2003 à 2022, le secteur numérique hors médias traditionnels a ravi 72 parts de marché. Cela s’est fait principalement au détriment des quotidiens et de la télévision, qui en ont perdu globalement 46 à eux seuls.
8. Variation des parts du marché publicitaire au Québec de 2003 à 2022
En 2022, le marché québécois est davantage dominé par les supports en ligne hors médias traditionnels que ne l’est le marché canadien. Les 4 points de plus qu’ils recueillent en parts de marché au Québec se retrouvent surtout dans le marché de la télévision au Canada. Pour les autres médias, l’écart se limite à moins d’un point. Les différences entre le Québec et le Canada étaient similairement peu marquées en 2003. Tandis que les magazines et la télévision connaissaient déjà un accès plus restreint au marché publicitaire canadien (-2 points de pourcentage), c’était au Canada que la publicité en ligne hors médias avait une courte longueur d’avance, occupant 2 points de plus en parts de marché qu’au Québec.
9. Répartition du marché publicitaire au Québec et au Canada en 2003 et 2022
Les défis à l’ère du numérique
En plus de favoriser les acteurs internationaux, qui desservent de plus grands territoires et bénéficient d’un accès facile à des masses impressionnantes de données afin de personnaliser leur offre publicitaire, la montée de la publicité sur les plateformes en ligne a en quelque sorte fait perdre à l’industrie canadienne des privilèges de longue date visant à encourager les annonceurs du pays à la soutenir.
En 1960, le Parlement du Canada adopte l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu ; celui-ci dispose que les dépenses publicitaires investies dans les médias canadiens de radiodiffusion (télévision et radio) peuvent être déductibles d’impôts. Toutefois, lorsqu’un annonceur canadien utilise un média étranger, le montant dépensé n’est pas admissible comme déduction fiscale.
Lorsqu’il est question des médias imprimés (journaux et périodiques), les annonces y étant placées ne sont déductibles que s’il s’agit d’une édition rédigée et publiée au Canada, dont la mise en page et l’impression sont réalisées au Canada ou aux États-Unis, dont les droits de publication appartiennent à un/e citoyen/ne canadien/ne ou une société/entreprise contrôlée par des Canadiens. Elles sont aussi déductibles si elles sont placées dans un numéro qui est publié moins de deux fois par an et dont le contenu éditorial est consacré au Canada.
L’article 19, adopté bien avant l’ère numérique, n’inclut pas explicitement les médias numériques étrangers dans les médias non-admissibles aux déductions fiscales. Donc, les médias numériques, au sens de cette loi, ne seraient pas considérés comme des médias. Ainsi, tous montants versés à des fins de publicité dans des médias numériques (ex. sites web, plateformes de visionnement en ligne, médias sociaux, etc.) sont déductibles d’impôts, qu‘il s’agisse d’un média canadien ou étranger.
Dès 2017, les médias numériques non affiliés aux médias traditionnels recueillaient la plus grande part des investissements publicitaires canadiens (42 %). Différents intervenants militent alors pour rendre non-déductibles d’impôts les dépenses publicitaires faites envers des médias numériques étrangers. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du rapport Le Miroir Éclaté, produit par le Forum des politiques publiques en janvier 2017. On y insiste sur l’idée que ces plateformes ne participent pas au financement de la production d’une information journalistique nécessaire pour le bon fonctionnement démocratique. En 2018, dans un rapport du Comité sénatorial permanent sur les transports et les communications, cette proposition est rejetée.
En date de 2022, on estime que les médias numériques non traditionnels, principalement de propriété étrangère, accaparent 70 % des revenus publicitaires du Canada tout en profitant indirectement de ces avantages fiscaux. De fait, les médias canadiens déclarent perdre des revenus importants et nécessaires au bon déroulement de leurs activités. Aussi, la hausse du nombre de supports numériques, notamment la multiplication des plateformes de visionnement en ligne (ex. Netflix, Disney+, Amazon Prime) offrant des forfaits publicitaires aux annonceurs, contribue à diviser davantage l’assiette publicitaire. Si certaines applications, généralement gratuites (par exemple, Tubi chez les acteurs sur demande ou les différents canaux en ligne, souvent en provenance des États-Unis, disponibles sur les télévisions intelligentes), diffusaient déjà des publicités, les principaux acteurs payants de la diffusion en continu ont récemment joint le bal. Par exemple, Netflix a ouvert le pas en offrant la première formule avec publicités en novembre 2022, rapidement suivi de Disney+, puis d’Amazon Prime en 2024. Cela permet une entrée de revenus supplémentaires pour ces plateformes. Les annonceurs en sortent aussi gagnants, puisque la multiplication de l’offre et la forte concurrence entre les plateformes, incluant certaines qui n’ont pas besoin de revenus publicitaires pour engendrer des profits, est susceptible d’entrainer une baisse des prix, à un moment où plusieurs gros joueurs de l’industrie médiatique canadienne disent déjà ne plus pouvoir se fier seulement à ces revenus pour subsister.
À l’heure actuelle, la stratégie canadienne pour contrer cette perte de revenus se fonde sur la mise en place de fonds destinés à soutenir le journalisme ou, de façon plus large, la production indépendante. Par exemple, à travers la Loi sur les nouvelles en ligne, les médias numériques étrangers remplissant certains critères (ce qui couvre présentement Meta et Google) doivent entamer des négociations sur les droits d’auteur avec les entreprises canadiennes produisant des nouvelles pour l’usage de leurs contenus.
La Loi sur la diffusion continue en ligne (anciennement le projet de loi C-11), quant à elle, modifie la Loi sur la radiodiffusion et exige que les services de diffusion continue en ligne contribuent de façon importante au contenu canadien et autochtone. Ainsi, ceux dont les dont les revenus de contribution annuels s’élèvent à 25 millions de dollars ou plus et qui ne sont pas affiliés à un radiodiffuseur canadien devront verser 5 % de ces revenus à certains fonds. Dès la période de radiodiffusion 2024-2025, qui commence le 1er septembre 2024, ces contributions, estimées à 200 millions de dollars par an, serviront à soutenir les nouvelles locales à la radio et à la télévision, le contenu de langue française, le contenu autochtone et le contenu créé par et pour des groupes méritant l’équité, des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) et des Canadiens de divers antécédents. Parmi ces contributions, les revenus de publicité et d’abonnement associés à la diffusion de contenu généré par les utilisateurs seront exclus.
Mise à jour : août 2024
Notes
[1] Les données pour les magazines sont tirées d’Infopresse jusqu’en 2017, puis d’estimations du CEM à partir de 2018. En 2017, Infopresse a changé de source de données, passant d’Ad Dynamics à Numerator. Nous incluons tout de même ces données à titre indicatif.
[2] Par presse hebdomadaire, nous utilisons ici l’acceptation au sens large propre au Québec, soit l’industrie des journaux, excluant la presse quotidienne.
[3] Dans ce dernier cas, il s’agit de la donnée canadienne.
[4] Nous avons exclu les services des propriétés Google Network (comme le service AdSense), qui s’apparentent à un service de courtier publicitaire.
[5] X n’étant plus coté en bourse, ces chiffres ne sont plus divulgués publiquement. Les données les plus récentes sont donc toujours celles de 2021. Il y a toutefois consensus quant à la chute involontaire des revenus publicitaires de la plateforme depuis et celle-ci tente de varier davantage ses sources de revenus.
[6] Institut de la statistique du Québec (2022), Produit intérieur brut réel, Comptes économiques des revenus et dépenses, Édition 2022
[7] Calculs du Centre d’études sur les médias à partir des informations publiées sur les contrats de publicité et de promotion par le ministère en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. https://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/acces_info/contrats-de-publicite-et-de-promotion/
[8] Services publics et Approvisionnement Canada, Rapports annuels sur la publicité du gouvernement du Canada. https://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/pub-adv/annuel-annual-fra.html
[9] Institut de la statistique du Québec (2022), Produit intérieur brut réel, Comptes économiques des revenus et dépenses, Édition 2022 et Indice des prix à la consommation.
[10] Faute de données isolées sur les revenus publicitaires en ligne des magazines et de la radio au Québec, nous ne pouvons pas savoir la part de revenus en ligne de l’ensemble des médias traditionnels. Toutefois, la combinaison des revenus en ligne des quotidiens, des hebdomadaires et de la télévision équivaut à 4 % de l’ensemble des revenus publicitaires numériques de 2022.